EXCITATION ET EXCITABILITÉ

EXCITATION ET EXCITABILITÉ
EXCITATION ET EXCITABILITÉ

L’excitation c’est, littéralement, l’action d’exciter, de faire sortir du repos, de stimuler ou d’animer davantage, mais c’est aussi le résultat de cette action. Cette fâcheuse ambiguïté qui fait désigner par le même terme tantôt la cause, tantôt l’effet, s’aggrave encore par le fait que le mot «excitation» s’applique parfois plus particulièrement au processus de transition qui va de la cause à l’effet, à moins qu’il ne désigne une manifestation spontanée, c’est-à-dire dont les causes sont incontrôlables et inapparentes. Cette situation confuse n’est pas seulement le fait du langage courant, car on la relève aussi bien dans les emplois scientifiques du terme, les seuls dont on parlera ici.

C’est surtout en biologie, et spécialement en neurophysiologie, que ce terme, dans toutes ses acceptions, a fait l’objet de subtiles distinctions et que les phénomènes qu’il désigne ont été profondément analysés. Cependant, comme on le sait, il est souvent employé aussi en psychologie et en psychiatrie. D’un autre côté, il est utilisé en électricité («excitation» d’une machine électrostatique, d’une dynamo, d’un moteur électrique) et enfin en microphysique et en physico-chimie pour désigner à la fois l’action, la transition et l’état relatifs aux atomes – ou molécules – «excités». L’excitation d’un atome est l’apport d’énergie extérieure (bombardement électronique, choc de particules, photons) qui provoque le passage d’un électron d’une couche donnée à une couche plus périphérique; cet électron est alors dit lui-même en état (passager) d’excitation; et c’est la transition qui constitue à proprement parler le processus d’excitation .

En biologie, les phénomènes d’excitation ont une importance considérable, car ils sont la manifestation d’une propriété fondamentale de la vie, l’excitabilité , définie comme la propriété des systèmes vivants, ou de leurs éléments, de réagir de la seule ou des seules façons qui leur sont propres à toute espèce d’agents externes ou internes capables de les stimuler.

Par leur sensibilité et leur rapidité de réaction, par leur destination fonctionnelle normale aussi, certaines cellules sont fréquemment mises en état d’excitation: elles forment la catégorie des systèmes excitables , parmi lesquels figure au premier chef le système nerveux avec ses dépendances, nerfs, récepteurs et effecteurs (muscles, glandes, etc.). Les cellules qui n’appartiennent pas à cette catégorie, et leurs tissus (par exemple l’épiderme), réagissent elles aussi à leur manière aux agents externes, qui peuvent leur imposer des conditions anormales, voire pathogènes. Les réponses spécifiques sont alors des «réactions de défense». Plutôt que de parler d’excitation, on préfère dans ces cas employer le mot irritation, qui s’applique encore à la fois à l’action et à l’état qui en résulte.

Au sommet de la hiérarchie de tous les processus partiels d’excitation et d’irritation se placent bien entendu tous ceux qui, par suite des modifications directes ou indirectes de l’activité du système nerveux qu’ils entraînent, débouchent sur des phénomènes intégrés d’excitation végétative, comportementale ou psychique. Le mot «excitation» devient alors un terme simplement descriptif d’effets complexes dont il est souvent difficile de démêler les causes.

L’excitabilité et les systèmes excitables

L’excitabilité (ou l’irritabilité) est, au sens large, une propriété commune à tous les objets vivants. Dire que ceux-ci réagissent conformément à leur nature peut être pris pour l’énoncé d’une évidence, mais ce qu’on souligne ainsi est pourtant fondamental: les objets vivants (cellules, tissus, organes) réagissent autrement que la plupart des objets non vivants qui ne font que transmettre et transformer l’énergie qui leur vient du dehors, tandis que la réaction du vivant met en jeu ses propres réserves énergétiques et matérielles, et l’énergie incidente n’est que l’agent du déclenchement de ce métabolisme propre, de nature essentiellement chimique. Ce sont les accélérations de ce métabolisme, provoquées par la présence active de certains agents, ou par la variation de certaines conditions, que l’on est en droit de nommer «excitation» ou «irritation».

Pour nuancer davantage, on dira que les organismes contiennent des cellules spécialisées dans lesquelles on doit distinguer plusieurs métabolismes: un métabolisme de croissance, un autre d’entretien et enfin un métabolisme rapide, métabolisme d’excitation, lié à la réactivité propre de la cellule à certains agents spécifiques. Tels sont les neurones, les cellules réceptrices des organes sensoriels quand elles se différencient des terminaisons nerveuses, les fibres musculaires, les cellules sécrétrices des glandes, les éléments électromoteurs des organes électriques, et en général tous les types de cellules effectrices. Certaines algues, certains tissus végétaux (dans la sensitive par exemple) sont également excitables.

Toutes ces cellules et les systèmes qu’elles forment seront appelés ici «systèmes excitables». Ceux-ci diffèrent des systèmes banalement irritables, non seulement par le fait qu’ils ont un agent préférentiel d’excitation, mais encore par la rapidité avec laquelle ils y réagissent, comparée à celle des réactions qui portent sur le métabolisme d’entretien. L’agent d’excitation est généralement appelé stimulus , et un effort de clarification du vocabulaire a été fait lorsqu’il a été décidé de remplacer par le terme de stimulation celui d’excitation pour désigner cette phase initiale qui déclenche l’opération. En outre, le terme d’excitation, autrefois et souvent encore appliqué aux manifestations visibles, ou en tout cas bien extériorisables, de l’activité des systèmes excitables (c’est-à-dire de leurs réponses : contractions musculaires, potentiels d’action, sécrétions), tend aujourd’hui chez les spécialistes à restreindre sa compréhension aux processus latents qui précèdent et préparent ces manifestations. En fait, ces processus latents qui se déroulent entre le moment du stimulus et celui de la réaction sont devenus eux-mêmes perceptibles depuis que les techniques modernes de la biophysique, en particulier de l’électrophysiologie, ont permis de les enregistrer. Dans la succession stimulus-excitation-réponse, la distinction entre les deux premiers termes est donc bien nette, mais celle qui sépare les deux derniers est toute relative à la partie d’activité que l’on décide de laisser dans l’ombre par rapport à celle que l’on considère comme la réponse.

On s’est en outre rendu compte que les systèmes excitables étaient souvent capables d’activités non déclenchées par une stimulation extérieure, activités dites «spontanées»; généralement rythmiques, celles-ci correspondent soit à des modalités habituelles de fonctionnement (activité cardiaque, trains de potentiels d’action nerveux, rythmes électro-encéphalographiques, etc.), soit à des phénomènes obtenus dans des conditions artificielles. On dit en tout cas que le système est le siège d’une auto-excitation . Il n’en est pas moins vrai que toute auto-excitation dépend des conditions offertes au système. On pourrait méditer à cet égard sur la distinction, souvent arbitraire, entre «cause» (stimulus) et «conditions».

L’excitabilité et les processus d’excitation ou d’auto-excitation ne varient que quantitativement selon le stimulus (ou les conditions) mis en jeu. L’électricité est un agent universel d’excitation. La loi générale est que tout système excitable se trouve excité lorsqu’un courant traverse les surfaces sensibles de ces cellules – leurs membranes actives – dans le sens qui les dépolarise, c’est-à-dire en général de l’intérieur vers l’extérieur.

Cependant, la réponse spécifique n’apparaît que lorsque le stimulus atteint une certaine valeur, un seuil , ou valeur liminaire . Celle-ci peut porter sur différents paramètres du stimulus électrique: tension ou intensité, durée, quantité d’électricité, pente d’établissement. Des lois plus ou moins précises et généralisables ont été établies par les électro-physiologistes.

Pour son universalité, sa précision, sa maniabilité, le stimulus électrique est celui qu’on utilise le plus souvent dans les laboratoires bien qu’il ne soit pas, pour les récepteurs sensoriels du moins, un agent naturel d’excitation (sauf en ce qui concerne les électro-récepteurs des poissons électriques); mais, d’une part, il peut artificiellement être utilisé à leur place et, d’autre part, on sait aujourd’hui que les agents naturels (actions mécaniques et vibrations sonores, variations thermiques, radiations lumineuses ou non, agents chimiques, variations osmotiques) exercent leur action en passant par l’intermédiaire d’une dépolarisation, c’est-à-dire finalement de l’agent électrique qui, lui, est le stimulus naturel des fibres nerveuses. C’est donc par ce processus appelé communément transduction (en technologie des «capteurs») que l’excitation entre dans un organisme, en donnant naissance à des dépolarisations transitoires que l’on nomme potentiels de réception . Il s’agit là justement de ce processus latent, aujourd’hui démasqué, qui, au sens restreint du terme, représente le décours – la cinétique – de l’excitation.

L’excitation nerveuse

Les potentiels de réception nés dans les capteurs sensoriels deviennent des potentiels générateurs qui engendrent dans les nerfs, si le seuil est dépassé, des potentiels d’action. Ceux-ci se propagent parce que l’excitation se transmet de proche en proche en vertu de leur action stimulatrice sur les segments non encore excités: tel est le principe de la conduction de l’influx nerveux. Dans les ganglions et dans les centres, là où les neurones entrent en contact et forment ce qu’on appelle des « synapses », c’est le plus souvent un agent chimique spécifique de chaque type de synapses (un «médiateur») qui transmet l’excitation. Dans d’autres cas, celle-ci se transmet par voie électrique. Enfin, l’excitation qui anime les muscles, les glandes et autres effecteurs y est normalement apportée par voie chimique: soit par les médiateurs produits aux jonctions neuro-effectrices, soit par des hormones amenées par la circulation. Aux synapses comme aux jonctions, la cinétique des processus d’excitation est, par définition, représentée dans le décours des potentiels synaptiques d’excitation et des potentiels de jonction .

Sous-jacent à ces phénomènes électriques dont les forces électromotrices sont d’origine ionique (les ions Na+, K+ et Cl- étant prédominants), un métabolisme chimique complexe fournit l’énergie. Le cycle de l’ATP (adénosine triphosphate) joue à cet égard le rôle principal. Le tissu nerveux excité respire davantage, consomme davantage de glucides et de phospholipides, et exploite tout un équipement enzymatique pour fabriquer et utiliser ses médiateurs.

À côté de ses aspects moléculaires, qui renseignent sur la nature des processus d’excitation et l’origine de leurs signes, le phénomène excitation lui-même a des aspects fonctionnels (cf. système NERVEUX).

Ces aspects fonctionnels sont essentiellement d’ordre cybernétique, dans la mesure où l’excitation est le moyen qu’utilise la nature pour capter, transmettre et traiter l’information et pour l’utiliser à des opérations de commande et de contrôle. Contentons-nous ici de mentionner qu’au sein des structures de connectivité complexes qui constituent le système nerveux central l’excitation doit constamment s’affronter avec son antagoniste, l’inhibition , chacune étant représentée sur les surfaces postsynaptiques par le potentiel qui lui correspond et que, dans des circonstances favorables, on peut capter à l’aide de micro-électrodes intracellulaires.

Lorsqu’on a affaire à une manifestation globale de l’excitation, un réflexe, un comportement moteur spontané, un état de vigilance du cortex cérébral, on ne peut évidemment pas enregistrer l’ensemble des potentiels synaptiques d’excitation et d’inhibition qui interfèrent dans les centres nerveux impliqués. On continue alors d’employer les expressions abstraites, devenues classiques, d’état d’excitation centrale et d’état d’inhibition centrale créées par le grand physiologiste anglais C. S. Scherrington à l’époque où les processus en question n’étaient pas directement accessibles.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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